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Récit de voyage

Une mission engloutie

 |  Olivier Croufer |  République démocratique du Congo

Une installation insolite

On m'avait annoncé une mission catholique depuis plus de cent kilomètres comme s'il s'agissait d'un repère utile à la fois à mon voyage et à mon existence. Et soudain au bout de l'enfilade des cases en pisé, des briques rouges et des bâtis volumineux. Une église, une procure, une école, les éléments symboliques de l'installation missionnaire dans la forêt : convertir, administrer, éduquer.

Je suis ahuri par l'excès d'audace et d'assurance qui a animé ces installateurs venus de mon propre pays. Je ne ressens aucune admiration. Au milieu de cette immensité végétale et si loin du lieu de ma propre éducation, j'inclinais à l'humilité.

Murmures nocturnes

Au cœur de la mission, ce n'est pas la religion qui inspire une méditation, mais la réminiscence d'un rapport historique. Au fil de la soirée, un petit monde s'installe autour de moi parmi lesquels des notables, le chef coutumier, le préfet des études, des enseignants, des mères, des enfants, des jeunes. Tous ne comprennent pas le français mais on s'arrête pour faire la traduction. Nous sommes une trentaine à nous parler quand la lune vient nous éclairer.

Le monde est calme, chacun peut entendre le silence à côté de nos voix. Les frères blancs, des Belges dont certains parlaient le flamand, ont quitté la mission depuis bien longtemps. L'assemblée cherche les dates de la présence du dernier blanc dans le village. Manifestement, ils hésitent. Puis, ils semblent être d'accord, un ancien énonce distinctement en français, "mille neuf cents quatre-vingt ET UN". Je suis un peu étonné et reformule ma question. Ils confirment, "depuis mille neuf cents quatre-vingt un, plus de blanc n'est passé au village".

Je comprends progressivement l'importance de mon passage. Comme d'habitude, nous parlons ensemble des soulagements techniques que les Belges pourraient apporter à leurs conditions de vie. Mais la conversation part aussi ailleurs, vers une histoire commune soudainement interrompue. Les missionnaires ont progressivement quitté le village dans les années septante. Ils étaient vieux, mais "pourquoi n'y a-t-il pas eu de relève ? Que s'est-il passé chez vous ?", me demandent l'un et l'autre, parlant manifestement au nom de l'assemblée.

Un jour, la société d'exploitation forestière a, elle-aussi, arrêté son activité. "Vous n'utilisez plus de bois ? "

Paroles inouïes

Je suis progressivement ému. La conversation prend une intensité inouïe. Le silence infini permet d'accueillir chaque parole, non en tant que révélation, mais comme une circulation au sein de l'assemblée dont je ne suis qu'un des sujets. La lune éclaire distinctement les visages et les cases alentours, mais je n'entends plus que des voix. Peut-être qu'elles enveloppent un cri plus sourd que je ne parviens pas à distinguer, ou une clameur collective qui passe dans toutes les voix ? J'entends surtout une tonalité chaude jaillie du lointain d'une histoire commune.

Ils ont la profonde gentillesse de me demander, "qu'est-ce que vous êtes devenus ?"