Skip to main content

Récit de voyage

Sur un horizon de savanes

 |  Olivier Croufer  |  République démocratique du Congo

Vraiment épuisé

 

Je quitte Lusambo irrité par les exhortations des habitants à ce que j'intervienne dans la reconstruction d'un pont devenu précaire. Je ne suis pas un miracle et, surtout, l'inadéquation incroyable de leur demande à mon égard m'exaspère.

Je me décide à emprunter une pirogue pour traverser la rivière Sankuru et accoster sur l'idyllique banc de sable de l'autre rive. On m'avait annoncé une piste peu praticable, mais j'ai été surpris par l'ampleur des difficultés. Je replongeais dans une zone forestière, montant et descendant des lits de rivières coupés de troncs insolents et hostiles.

Mes compagnons d'infortune sont à pied. Ils m'aident à pousser le vélo dans les pentes, à le transporter au-dessus des troncs et des branches.

Je suis vraiment épuisé, mais la solidarité toute naturelle des Congolais forge des complicités délicieuses à éprouver.

Encore des doléances

 

Je ne quitterai définitivement la forêt que plusieurs jours plus tard, heureux de retrouver les paysages de savanes et une piste sur laquelle je pouvais de temps en temps rouler.

Francis et Faustin sont mes compagnons de routes et nous arrivons dans leur village au moment où le soleil se transforme en boule orange s'écrasant sur le vert infini.

Des dizaines d'yeux s'agglutinent progressivement autour de moi. Francis et Faustin, encore très jeunes, s'efforcent de réguler vaillamment la distance me séparant de ce curieux essaim. À peine ont-ils chassé les plus proches regards que ceux-ci reviennent presque démultipliés. Las, je patiente. Je sais qu'avec la nuit, ces yeux fascinés iront chercher le sommeil.

Quelques-uns sont restés à parler avec moi. Un verre d'alcool de manioc et de maïs circule parmi nous. J'y trempe mes lèvres pour exprimer mon appartenance au groupe.

Parmi les doléances, les hommes me pressent de les raccorder au "réseau".

Cheminer en marge des illusions

 

Le matin, Francis, Faustin et quelques-uns de leurs amis tiennent à faire un bout de chemin avec moi.

"- N'oublies pas d'indiquer dans ton rapport que nous n'avons pas de réseau, me dit un des jeunes avec lequel nous avons passé la soirée.

- Quel rapport ? Je t'ai dit que je ne voyage pas pour le gouvernement et que je ne ferai à personne l'état des lieux de ton village, lui expliquai-je à nouveau, comme je l'avais déjà fait longuement la veille.

- Alors quand tu arriveras à Kinshasa, tu le diras au directeur d'Airtel et de Vodacom."

Je suis stupéfait. J'ai à peine la force de reprendre la discussion sur le sens de mon passage au Congo.

Mes compagnons m'abandonnent progressivement.

Plus loin, je bloque la béquille du vélo. Je vais m'asseoir sur une touffe d'herbe en bord de piste. Dans le paysage de savane, pas un homme, pas une trace, pas même celle d'une culture. Je me sens seul, cette solitude magnifique d'où mille voix me parlent, m'invitent à m'enfuir et à revenir.