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Récit de voyage

Compagnons de piste

 |  Olivier Croufer  |  République démocratique du Congo

Les camions

La circulation se fait à bicyclette. Éventuellement à moto. Plus rarement, quand la piste est suffisamment bonne, au moyen de camions chargés au maximum de ce que la hauteur peut tolérer avant que ne s'opère une rotation sur l'axe central et un basculement sur le flanc.

La piste des premiers jours autorisait le passage de ces camions. Sur deux jours, j'en ai compté six. Trois roulaient. Un quatrième s'était embourbé car la piste traverse des vasques remplies d'eaux boueuses et visqueuses. Deux autres dormaient, couchés sur le flanc, renversés par les escarpements du relief immergé sous la surface plane et trompeuse des flaques rougeâtres.

À l'approche de ces embuscades, les personnages tassés sur les camions, surnuméraires ajouts vivants au-dessus des masses empaquetées, reprenaient soudainement leur statut d'existant humain et descendaient de leur plate-forme par prudence et anticipation d'une culbute.

Les cyclo-transporteurs

Dessin de Frédéric Hainaut. Carte 1

La majeure partie des transports de marchandises s'effectue à vélo. Je circule avec des poissons, des piles, des dentifrices et des tôles ondulées.

Quand le vélo devient trop lourd, lorsqu'il est chargé de cent kilos de grains de maïs, la chaîne a été enlevée, devenue inutile. La musculature des jeunes hommes pousse alors les vélos à bout de bras. La propulsion s'alimente d'une force intérieure qui suinte des muscles par la peau et mouille le tee-shirt fatigué.

Nous poussions nos vélos en sens inverse dans la glaise glissante de l'étroit chemin de contournement de la piste inondée. Je croise son regard. Il me laisse furtivement accéder à cette puissance qui sourd, qui appelle, qui pleure.

J'aime le courage de ces hommes. Je sais que je devrai me protéger de leur détresse.

Rouge et vert, léger

La piste de latérite, ocrant, fendant les brins verts rend léger. L'envol rend heureux.

Les pneus surcomprimés feraient exploser dans l'instant les tubes parfois raccommodés de fil noir de mes compagnons africains. La pression à l'excès amplifie le chuintement soufflant dans les particules rougeâtres.

Le corps siffle, petit vent.